L'appel à De Gaulle
rideau

A l'aube de cette nuit étrange, le général de Gaulle quitte comme chaque mercredi, sa propriété de la Boisserie. Tandis que sa voiture prend à vive allure la route de Paris, le général de Gaulle peut songer avec une amère délectation qu'une fois encore l'événement risque fort de confirmer son pessimisme foncier puisque, malgré toute l'agitation de ses fidèles compagnons, il n'a pas fait, en apparence depuis la veille, un pas de plus vers le pouvoir.
En arrivant rue de Solférino, ce mercredi 14 mai, le général de Gaulle a trouvé dans son courrier une lettre signée de M. Georges Bidault. C'est le premier ralliement, le premier appel. Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais tout de même, quand on songe à tout ce qui a opposé autrefois le chef de la France Libre et le président du Conseil national de la Résistance, à tout ce qui sépare aujourd'hui le sphinx de Colombey et le champion de l'Algérie française, la démarche est significative. M. Bidault sera entendu.

Au moment où M. Guy Mollet est sur le point d'accepter le gouvernement d'Union nationale avec M. Pinay; on lui apporte une motion votée par le groupe socialiste qui, laissé à lui-même, fait confiance à M. Pflimlin.
Vous ne vous en sortirez qu'en appelant de Gaulle, dit placidement le général Ely venu au rapport et dont le propos est mal accueilli.
M. Pflimlin promet d'être ferme, mais aussi d'être souple, de rétablir l'ordre, de gagner la guerre, de faire la paix, enfin ce qu'on voudra. Alors, après tout, puisqu'il est là... Il sera investi. A la tribune, il condamne à regret ce qu'il nomme précautionneusement une attitude d'insurrection contre la loi républicaine. A 3 h 30 du matin, l'affaire est faite : M. Pflimlin est président du Conseil, par 274 voix contre 120 avec 137 abstentions.
A Alger, à 4 heures exactement, le général Massu donne lecture au balcon du Forum du communiqué n° 1. Il confirme la prochaine arrivée de M. Jacques Soustelle. Il supplie le général de Gaulle de bien vouloir rompre le silence en s'adressant au pays en vue de la formation d'un gouvernement de salut public qui, seul, peut sauver l'Algérie de l'abandon.
Cet appel à de Gaulle, la première adresse publique, ne sera entendu ni relevé, ni à Paris, ni à Colombey. (...)

Les deux acteurs de ce dernier acte allaient être le général Salan et le général de Gaulle. Mais pour le premier, il allait s'agir en quelque sorte de ce que les philosophes nomment un acte manqué.
Salan emploie la première partie de la matinée à consulter tous ceux qui l'entourent. Sa femme d'abord : Mme Salan, farouchement antigaulliste, prêche la prudence. Ses collaborateurs ensuite. Il interroge longuement son antenne parisienne où se trouve par hasard son chef d'état-major, le général Dulac. Son avis est formel : Il faut crier Vive de Gaulle, il n'y a pas moyen de faire autrement.
Troisième consultation : les généraux d'Alger. Faut-il rallier de Gaulle ? Oui, à l'unanimité.
Le général se rend au G.G. où siège le Comité de salut public. Il prend la parole, prononçant à peu près mot pour mot le discours qu'il va répéter dans quelques instants au balcon du Forum devant la foule qui est revenue, vibrante et anxieuse. Il arrive à la péroraison : La victoire, c'est la seule voie de la grandeur française. Je suis donc avec vous, avec vous tous. Vive la France! Vive l'Algérie française ! Vive le général de Gaulle !
Simplement tout à l'heure, sur le balcon, il marquera un temps d'arrêt, un soupir comme disent les musiciens, et un léger recul, après avoir fait acclamer l'Algérie française. Léon Delbecque qui se tient derrière lui, encadré des généraux et de quelques civils lui pousse un doigt dans les reins : criez Vive de Gaulle !. Alors Salan, se rapproche du micro et crie « Vive de Gaulle ! ». Une demi-heure plus tard, revenu à son bureau de la X' région militaire par le souterrain qui relie l'état-major au G.G., il confiera, comme hébété, à ceux qui l'entourent :
Je n'ai pas crié « Vive de Gaulle ! ». Ils prétendent tous que je l'ai dit. Eh bien, tant pis, j'accepte ! C'est bien un acte manqué.
Il ne manquera cependant pas son but, quelles qu'aient été la part de la volonté et celle du rêve. Car au terme d'un après-midi fiévreux, à 18 heures, le général de Gaulle rompt enfin le silence qu'il avait observé rigoureusement tout au long de la crise et depuis trois années.

massu, de gaulle et salan
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Manif du 13 mai 1958